Je suis le grand, sur la photo ! Le grand qui tient une cantine à la main.... une affaire de pêche, semble-t-il ? J'ai quitté Chelles (si jamais je l'ai quittée), en 1969, pour Lagny où je travaillais dès 1961 ... 17 ans et grouillot !
En 1955, le gamin que j'étais, se faisait passeur entre la berge du canal et le chemin de bastaings; installé par les pompiers pour les riverains et les visiteurs. Une forte femme se présenta sur le chemin de halage souhaitant se rendre chez des amis elle me fit signe. J'amenai la barque, la maintins bien engagée sur la berge et assurée ; elle monta. Un large manteau de fourrure fauve, un visage ordinaire et maquillé me dominaient. S'était-elle parfumée pour cette visite aux inondés...
Elle se tint bien droite et fière jusqu'au portail, grand ouvert et bien calé à cause du courant. C'est à ce niveau que le drame se produisit : il me fallait m'approcher du portail et le frôler afin que le courant ne me dévie ; c'est cet instant que choisit la femme pour agripper, en se penchant, les barreaux du portail.
L'effet fut immédiat, l'avant de la barque s'éloigna sous les poussées combinées de la femme, et du courant. Elle, les mains rivées aux barreaux, les pieds cloués au fond du bateau, le tout dans une oblique incontrôlable ! Je luttai un moment, la gaffe plantée de biais dans l'espoir de retenir l'embarcation, mais ces forces associées eurent raison de mes onze ans.
L'avant de la barque pivota doucement, inexorablement, l'angle du dos raide et fourré s'affirma, déjà les pans de fourrure frôlaient l'eau... Alors, les pieds abandonnèrent : ils quittèrent le fond du bateau , franchirent sans plier la "bordaille", et se jetèrent côte à côte, en frères d'infortune dans l'eau boueuse !
Qu'ai-je entendu ? Une forme de grognement... peut-être, je ne saurais dire ; j'étais comme médusé ! J'ai vu des gestes sans regard, j'ai vu une forme en manteau de fourrure, de l'eau jusqu'aux genoux, foncer dans une gerbe de lourdes éclaboussures brunes, vers le quai, laissant derrière elle, un sillage où ondulaient les pans de son manteau détaché...
Je me souviens de ma peur, peur de remontrances, peur de ce que vont me dire les voisins, peur de cette femme terrible...
Alors je suis rentré, j'ai raconté, j'ai expliqué... ce n'était pas de ma faute, c'est elle qui...
Mon oncle : " L'avait qu'a pas v'nir jouer les curieuses" !
Lorsque j'ai revu les voisins, ils ont rigolé... Alors, ma culpabilité à disparue...
Ou presque, car il se peut que j'en trimbale encore un petit bout, mais il est devenu plutôt souriant.
La voiture est une Matford V8 (1937 ?). Elle servit à remonter notre barque de la Marne à l'Allée, avant de la pousser, jusqu'au fond, sur des rondins.
L'Allée des Glycines. A l'époque, elle était bordée de buis dont j'ai encore l'odeur en... nez.
La porte se situait juste à cette entrée, les buis étaient sur la gauche en entrant dans l'Allée ; à droite, un grillage mal en point et un alignement d'arbres. Un reste de charmille à l'emplacement de la poubelle. Tout au fond, quatre tilleuls, un portail de fer forgé, un petit bout de terrain libre, puis la berge du canal...