Au 11ème siècle l'évêque de Paris décida d'implanter une maladerie Saint-Ladre (léproserie) entre Gournay-sur-Marne et Champs-sur-Marne (1), un lieu inhabité, non inondable, pour offrir un asile bienveillant et charitable aux malheureux lépreux des paroisses voisines et même de Paris moyennant une fraction de dîme. À l'époque Gournay avait déjà une prévôté, un prieuré. Champs aurait sa léproserie.
Saint-Ladre est l’autre nom de Saint-Lazare, mort couvert de pustules qui fut ressuscité par Jésus trois jours après ses funérailles.
On savait bien que, mis à part un miracle, il y avait peu de chance de guérir de la lèpre, alors l'église voulait apporter un secours charitable à ces âmes que le corps abandonnait.
Une organisation fut mise en place : les villes ou seigneureries souhaitant soulager leurs lépreux versaient périodiquement à l'administrateur épiscopal de la léproserie une cotisation proportionnelle à son nombre de foyers, pour très vite obtenir une place dès qu'un cas de lèpre se déclarait. C'était déjà une sorte de mutualisation. L'encyclopédie de 1751-1765 a dit qu'il y eut plus de deux mille léproseries dans le petit royaume de France en 1225 et près de dix-neuf mille dans la chrétienté (2).
La maladerie de Saint-Ladre de Gournay (près de la rue des Tulipes et de la rue Jean Jaurès à Champs), ne recevait que des malades de la lèpre, qui étaient contrairement aux idées reçues (3) aux petits soins des clercs ou des religieux de l'établissement qui suivaient les préceptes de charité de Saint Augustin et leur prodiguaient ces soins tout en étant chargés des travaux ménagers et agricoles. Un chapelain dédié, en plus des services religieux pluri quotidiens mâtines et vêpres, leur disait quatre fois par semaine la messe dans sa petite chapelle.
L'administrateur itinérant de l'évêché s'assurait que les legs (hérités des lépreux), les rentes, les cotisations, les potagers, vergers, pâtures et champs de céréales, vaches, chèvres et volailles, propriétés et loyers encaissés de la léproserie lui permettaient d'assurer la subsistance de l'établissement. Il brassait beaucoup d'argent et avec ses surplus la léproserie put s'acheter de plus en plus de terres pour avoir des réserves en cas de coup dur, faisant des jaloux et des envieux.
Parfois pour qu'il se rende utile, on sortait de son internat le lépreux sous surveillance discrète. Il agitait sa cliquette pour prévenir de son arrivée et il demandait l'obole en tendant sa sébile au bout du bras ou mieux au bout d'un bâton, au carrefour du chemin du Pont de Gournay avec le chemin de Champs (place Churchill à Gournay).
Le protocole sanitaire de l'Église était plus charitable que celui très strict qui avait été dicté par Dieu à Moïse et rapporté en 48 versets dans le chapitre 13 du Lévitique : en cas de soupçon de lèpre, isoler le malheureux sept jours et le réexaminer, et ainsi de suite tant qu'il est jugé impur par le religieux chargé du "tri" comme disent les spécialistes des maladies infectieuses.
Mais avec le temps, le retour de la peste et d'autres maux, la doctrine de l'église évolua et l'isolement devint une fin en soi pour prévenir la contagion, calmer les peurs des 99,2% de la population qui n'avaient pas la lèpre et aussi un moyen préférable au bûcher, qui était pratiqué pour les lépreux encore sous Philippe V (1294-1322) mais que l'église préférait réserver aux sorcières (6) et aux impies.
Et puis les évêques constatèrent que les maladreries bien gérées pouvaient être excédentaires. Dans les comptes de la Prévôté de Paris parmi les dépenses ordinaires de l'an 1475, il est noté un versement "de 20 livres-parisi à la maladrerie Saint Ladre de Gournay-sur-Marne", une belle somme.
Lebeuf, Jean (1687-1760) historiographe de l’évêché disait entre les lignes que la léproserie de Gournay ratissait très large géographiquement et que son collateur (percepteur) collectait des cotisations (décimes) pour la lèpre, faisant des jaloux et mécontents surtout comme la lèpre s'éloignait :
"La Léproserie ou Maladerie de Gournay est ancienne. Dès l'an 1352, il s'étoit ému une difficulté touchant le Collateur. Il en est parlé dans les Registres du Parlement, et dans celui de la visite qui en fut faite en 1351. Les lieux qui avoient droit d'y prétendre leurs malades après Gournay, étoient Chelles, Noisy-le-Grand, Villiers-sur-Marne, Champs, Noisiel, Hemery (Émerainville), Bercheres, Rantilly, Beaubourg, Lognes, Croissy, Torcy, Collegien, Saint-Germain-des-Noyers, etc... Le revenu devoit avoir été proportionné à de si grandes charges. ... L'Evêque de Paris y nommait l'Administrateur. .....Elle est encore au rôle des Décimes."
Un business ?
Après que fut constaté la régression de la lèpre, l’administrateur de la maladrerie de Gournay-sur-Marne consentit en 1574 un bail (7) de ce local sous-utilisé à Antoine Roussel un hôtelier-cabaretier du Pont de Gournay qui en fit un "bon accueil" qu'il appela peut-être son bel "or pea" (Or pea signifie "ce pays" en latin). Sûrement une bonne opération pour la léproserie.
Ci dessous sur une carte de l'époque : Le Cabaret de Gournay rive droite ancêtre de la Maison Roux.
Il y a peu d'autres traces de la riche léproserie de Gournay à Champs dans l'histoire (8) . Des actes mentionnent la présence à Chelles en 1191 d'une "succursale" de la maladerie de Saint-Ladre de Gournay (9).
Les cartes de l'évêché par l'abbé Delagrive en 1740 signalaient encore la "léproserie" par un symbole carré et des croix sur ses chemins d'accès. Dans d'autres cartes, comme celle de N. de Fer en tête de l'article, seule la chapelle de la léproserie est représentée par une croix sur un rond.
Dans les cartes de l'intendance de Mme Ve Gabriel Michel en 1767, la parcelle se nomme Maladrie mais ni le bâtiment ni la chapelle ne sont représentés.
Plus tard dans le cadastre dit napoléonien une parcelle triangulaire d’environ 14 hectares en limite de Champs porte toujours le nom de « Maladrie » entre :
- Le chemin de Gournay à Champs ( rue Jean Jaurès à Champs D226)
- Le chemin du Pont de Gournay (avenue des Princes à Champs D104)
- Le chemin de Noisy à Champs (avenue du Gal De Gaulle) à Champs
Le site de la ville de Champs-sur-Marne (10) indique que la léproserie de Champs existait à la limite de Gournay-sur-Marne jusqu’au XVIIème siècle. Au moins jusqu'à ce qu'un arrêt du 3 août 1697 (11) pris par Lettre Patente décida que la maladrerie de Champs près de Gournay soit rattachée pour ses revenus à l’hôpital de la ville de Lagny. Une municipalisation de la santé était en marche. L'évêché serait bientôt fermé de l'intérieur.
Remerciements à l'hospitalité de lemarneux.fr, à Lucien Follet, à Alain Bathelmay SHNGC
Claude Schwartz