Participant à un travail mémoriel très fouillé de la Société Historique de Gournay sur les personnalités de 1939-45 liées à notre ville, je suis repassé ce samedi ensoleillé du 15 décembre 2023 devant notre monument aux morts.
Habitant de Gournay depuis 35 années, passant devant régulièrement, je confesse que je n’avais pas prêté assez d’attention à notre monument. Mais là, j'ai réalisé que je passais à côté de la plaque selon l'expression imagée.
Examinons une photo du monument qui date du 15 décembre 2013 et comparons-la à celle de 15 décembre 2023.
Si vous n'avez pas trouvé, la réponse est sur l'image suivante.
1 C'est une très belle sculpture d’Émile Boisseau de 1918, dont le sculpteur offrit la conception à la ville de Gournay. Pour manifester sa gratitude, la ville a rebaptisé l'ancienne rue Vivienne, rue Émile Boisseau.
Rembobinons le film ......de l'histoire
En 1945-1946, le conseil municipal de Gournay, issue de la Résistance, était à majorité communiste. Façon "Peppone contre Don Camillo", il avait même "rebaptisé" la place de l'Église, place Staline.
La municipalité avait fait fixer sous la plaque de marbre blanc officielle des "Morts pour la France" posée en 1918 sa propre petite plaque de marbre noir avec les noms gravés en lettres d'or des fusillées et déportés qu’elle souhaitait spécialement honorer comme le demandait le "parti des 75.000 fusillés" (le chiffre vérifié par les historiens est inférieur à 5000) .
Fusillés et déportés
de 1940-1944
Morts pour la France
et une suite de noms
Je ne rentre pas dans le débat sur l'expression "Mort pour la France" dont l'usage a été strictement défini par la loi. Je renvoi à ce sujet à l'Office national des Combattants et Victimes de Guerre créé en 1946, soit après la pose de cette plaque noire. (www.onac-vg.fr)
2 C'est risible mais la Place Staline de Gournay existe toujours, personne n'en a fait disparaître le nom dans les fichiers de l'État, (vérifiés en novembre 2023) même si les plaques de rues ont disparu il y a très longtemps.
3 1940 à 1944 correspond à l'occupation de Gournay.
Comme il restait beaucoup de place sur la plaque, alors fut ajouté, comme dans tant d'autres villes communistes, le nom de Guy Môquet, un jeune militant communiste parisien, dont la dernière lettre a ému tout le monde à gauche et ....à droite depuis qu’elle est lue dans les écoles. Il n'était pas de Gournay-sur-Marne, c’était le fils de Prosper Môquet, ex-député communiste de la circonscription des Épinettes à Paris XVII (déchu en vertu des lois du gouvernent Daladier et interné politique en 1939).
Guy Môquet fut arrêté en 1940 à 16 ans pour diffusion de tracts (demandant notamment la libération de son père). Bien qu'il ait été acquitté, il fut retenu comme interné administratif et transféré en 1941 dans le camp de Choiseul pour internés politiques. À partir d'août 1941 les allemands se firent remettre des internés ou prisonniers comme otages.
Comme 49 autres, Guy Môquet fut fusillé le 22 octobre 1941 à Chateaubriant (44) pour venger l’assassinat d’un officier supérieur allemand responsable de l’ouest.
Ce héros n'était pas gournaysien, de fait son nom a été mal orthographié par la ville qui comme beaucoup d'autres villes inscrivit "Guy Mocquet" au lieu de "Guy Môquet" sur la plaque de marbre noir et sur les plaques de l'ancien boulevard de la Marne (hommage des lotisseurs Bernheim à la fameuse Bataille de la Marne de 14-18) renommé en 1946, Boulevard Guy Mocquet.
Personne depuis n’a osé corriger tant la plaque de marbre que les plaques de rue peut-être par crainte de se faire "moquer".
4 Plusieurs communes firent la même erreur. Plusieurs la corrigèrent.
Le premier nom inscrit sur la plaque de marbre noir est KAPE SALMON. II est doublement mal orthographié Son nom était KAPPE SALOMON.
Les KAPPE habitaient l'avenue Jean Mermoz à Gournay-sur-Marne. Connus de la Mairie comme "juif étranger", Salomon n'était pas sur la liste électorale de 1939. Ils furent dénoncés à la Brigade Spéciale de la police par les services de la mairie, peut-être parce qu'ils étaient juifs étrangers en situation irrégulière, peut-être parce qu'il était résistant communiste.
Les détails sont dans les archives (déposées aux archives nationales) de la Cour de Justice qui a eu à juger et condamner les dénonciateurs et complices du 5 au 7 avril 1949.
Il y a eu amnistie depuis. Ensuite la France a mis quarante ans pour reconnaître certains de ses déportés.
Arrêté du 7 octobre 1994 publié au J.O. du 9 décembre 1994 page 17485
Par arrêté du ministre des anciens combattants et victimes de guerre en date du 7 octobre 1994, il est décidé d'apposer la mention "Mort en Déportation" sur les actes de décès de
Que sait-on des KAPPE, peu de choses en vérité :
SALOMON KAPPE était né à Odessa (alors en Russie) le 25 avril 1900. Il fut interné à Drancy puis transféré à Auschwitz-Birkenau par le convoi n°55 du 26/06/1943 comprenant 1018 hommes et il fut tué à Auschwitz, le 1er novembre 1943 à 43 ans.
En somme que constater : ll y a eu des erreurs dans les noms, les fusillés et déportés n'ont pas été respectés, et "après l’amnistie de 1963 , il y eut amnésie officielle »
Maintenant je me dis que les jardiniers ont peut-être bien fait de cacher cette triste plaque en attendant éventuellement mieux de nos élus.
Claude Schwartz
Avec pour les recherches et les archives l'excellent concours de la Société Historique de Gournay
5 des brigades spéciales de l'état français étaient chargées d'arrêter les communistes, les juifs et d'autres minorités en situation irrégulière.
6 La mairie est restée en place jusqu'à la désignation de la délégation spéciale de Gournay